Afrique Subsaharienne:Les Régimes Non Démocratiques Sapent Les Efforts De Lutte Contre La Corruption
Aperçu de la région
L’Indice de perception de la corruption (IPC) présente cette année un tableau bien sombre de l’Afrique : seuls 8 pays sur 49 obtiennent un score supérieur à 43 sur les 100 points que compte l’Indice. Malgré l’engagement pris par les dirigeants africains de faire de 2018 l’Année africaine de lutte contre la corruption, les avancées concrètes se font encore attendre.
Les Seychelles se trouvent en tête de la région, avec un score de 66 sur 100. Elles sont suivies par le Botswana et le Cap-Vert, ayant obtenu respectivement un score de 61 et de 57.
Tout en bas du classement, et pour la septième année consécutive, figure la Somalie avec 10 points, précédée du Soudan du Sud (13). Ces deux pays enregistrent ainsi les scores les plus bas de la région.
Avec un score moyen d’à peine 32, l’Afrique subsaharienne est la région la moins bien notée; la devancent tout juste l’Europe de l’Est et l’Asie centrale avec un score moyen de 35.
Corruption et crise de la démocratie
L’Afrique subsaharienne reste une région marquée par des contrastes politiques et socioéconomiques saisissants ; elle est accablée de problèmes de longue date. Même si un grand nombre de pays ont adopté des principes démocratiques de gouvernance, plusieurs sont encore sous l’emprise de dirigeants autoritaires ou semi-autoritaires. Les régimes autocratiques, les troubles civils, des institutions faibles et des systèmes politiques insensibles continuent de miner les efforts de lutte contre la corruption.
Les Seychelles et le Botswana, dont le score dans l’IPC est supérieur à celui d’autres pays de la région, partagent des caractéristiques communes. Les deux pays disposent de systèmes démocratiques et de gouvernance qui fonctionnent relativement bien, ce qui contribue à l’amélioration de leurs résultats. Cependant, ils font plutôt figure d’exceptions dans une région où la plupart des principes démocratiques sont menacés et où la corruption règne.
Pays qui progressent
En dépit de la piètre performance globale de l’Afrique subsaharienne, quelques pays ont fait reculer la corruption et ont réalisé des progrès notables.
Deux pays en particulier, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, figurent pour la deuxième année consécutive parmi les pays qui ont sensiblement amélioré leur classement dans l’IPC. Au cours des six dernières années, la Côte d’Ivoire est passée de 27 points (en 2013) à 35 points en 2018, et le Sénégal de 36 points (en 2012) à 45 points en 2018. Ces remontées peuvent être attribuées aux effets positifs des réformes institutionnelles, politiques et juridiques engagées dans ces pays ainsi qu’à la volonté politique dont ont fait preuve leurs dirigeants respectifs dans la lutte contre la corruption.
Avec un score de 37, la Gambie a progressé de sept points depuis l’année dernière, tandis que les Seychelles ont gagné six points et affichent un score de 66 points. L’Érythrée a également gagné quatre points, avec un score de 24 en 2018. En Gambie et en Érythrée, l’engagement politique, appuyé par des lois, des institutions et la mise en œuvre de mesures, contribue à un meilleur contrôle de la corruption.
Pays qui reculent
Au cours des dernières années, plusieurs pays ont connu une forte baisse de leur score dans l’IPC, notamment le Burundi, le Congo, le Mozambique, le Libéria et le Ghana.
Le Mozambique a perdu 8 points au cours des sept dernières années, passant de 31 points en 2012 à 23 points en 2018. La multiplication des enlèvements et des agressions contre les analystes politiques et les journalistes d’investigation crée une culture de la peur, qui nuit à la lutte contre la corruption.
Le Mozambique, qui a été le lieu d’un des plus gros scandales de corruption de l’Afrique, a récemment vu plusieurs de ses anciens responsables gouvernementaux mis en cause par les autorités américaines. L’ancien ministre des Finances et banquier du Crédit suisse, Manuel Chang, est accusé d’avoir dissimulé plus de 2 milliards de dollars en prêts non déclarés et pots-de-vin.
Les pays peu performants présentent, pour la plupart, un certain nombre de points communs, parmi lesquels un exercice limité des droits politiques, une liberté de la presse peu garantie et un État de droit faiblement développé. Dans ces pays, les lois sont souvent inappliquées et les institutions ne disposent que de peu de ressources, n’étant pas préparées pour traiter les plaintes pour corruption. Les conflits internes et l’instabilité des structures de gouvernance contribuent en outre à des taux élevés de corruption.
Pays à observer
L’Angola, le Nigeria, le Botswana, le Kenya et l’Afrique du Sud font partie des pays importants à surveiller, en raison de certains développements politiques récents et encourageants. Le véritable test sera d’observer si les nouvelles administrations en place dans ces pays respecteront leurs engagements en matière de lutte contre la corruption à mesure que le temps passe.
Le Nigeria voit son score inchangé depuis 2017 (27 points). La corruption a été l’un des principaux thèmes ayant conduit aux élections de 2015 et c’est une question qui reste très présente dans l’ordre du jour de ce pays, en pleine préparation pour ses prochaines élections présidentielles qui auront lieu en février.
Le gouvernement du président Buhari au Nigeria a pris un certain nombre de mesures positives au cours des trois dernières années, parmi lesquelles la création d’un comité consultatif contre la corruption placé auprès du président, l’amélioration du cadre juridique et politique de lutte contre la corruption dans des domaines comme les marchés publics et la déclaration patrimoniale, et l’élaboration d’une stratégie nationale anti-corruption. Néanmoins, ces efforts n’ont manifestement pas produit les résultats escomptés, ou pour le moins pas encore.
L’Angola atteint un score de 19, soit une augmentation de quatre points depuis 2015. Le président João Lourenço s’est fait le défenseur de réformes, s’attaquant directement à la corruption depuis qu’il a pris ses fonctions en 2017 : il a remercié plus de 60 fonctionnaires, dont Isabel dos Santos, la fille de son prédécesseur, Eduardo dos Santos. Récemment, le fils de celui-ci, José Filomeno dos Santos, a été accusé d’avoir conclu une opération frauduleuse d’un montant de 500 millions de dollars provenant du fonds souverain angolais. Il n’en reste pas moins que le problème de la corruption en Angola va bien au-delà de la famille dos Santos. Il est très important que les nouveaux dirigeants fassent preuve de cohérence dans la lutte contre la corruption dans ce pays.
L’Afrique du Sud, avec un score de 43, conserve également la même place dans l’IPC depuis 2017. Sous la présidence de Cyril Ramaphosa, l’administration a pris des mesures supplémentaires pour enrayer la corruption au niveau national, grâce en particulier au travail du Comité interministériel de lutte contre la corruption. Bien que la Stratégie nationale anti-corruption (NACS pour son signe en anglais) soit en place depuis des années, le gouvernement actuel continue à lui donner de l’élan en sollicitant l’opinion du public.
Par ailleurs, l’engagement des citoyens sur les médias sociaux et la mise en place de plusieurs commissions d’enquête sur les abus liés à la corruption sont des avancées positives en Afrique du Sud. La première commission d’enquête, la Commission Zondo, s’intéresse à la captation de l’État, et la seconde commission porte son regard sur l’administration fiscale et la gouvernance du service sud-africain des impôts (SARS). Les précédentes commissions d’enquête n’ayant produit que peu de résultats, reste à trancher la question de savoir si la nouvelle administration réussira mieux dans la voie du changement.
Un autre exemple des efforts récemment déployés pour lutter contre la corruption en Afrique du Sud est le rapport de l’Unité spéciale d’enquête (SIU) sur la corruption au sein du département de la Santé de la province de Gauteng. Ce rapport n’a jamais été mis au jour sous les gouvernements antérieurs, situation qui a changé sous le régime du président Ramaphosa : plusieurs personnalités de premier plan sont exposées dans ce document, y compris des membres du parti au pouvoir.
Au Kenya comme en Afrique du Sud, l’engagement des citoyens dans la lutte contre la corruption est crucial. Par exemple, les médias sociaux ont joué un grand rôle dans la tenue de discussions publiques sur ce thème. L’essor de la technologie mobile fait que les citoyens ordinaires, dans de nombreux pays, ont désormais un accès instantané à l’information et la possibilité d’exprimer leurs opinions par des canaux dont ne disposaient pas les générations précédentes.
Les médias sociaux, en plus d’améliorer l’accès à l’information — ce qui est essentiel dans la lutte contre la corruption —, sont de plus en plus utilisés par les responsables gouvernementaux au Kenya et en Afrique du Sud pour s’engager auprès du grand public. Notre section en Afrique du Sud, Corruption Watch, a vu une augmentation du nombre de personnes qui signalent des cas de corruption, notamment via Facebook et WhatsApp. Toutefois, il reste à voir si les médias sociaux et les autres nouvelles technologies inciteront ceux qui sont au pouvoir à passer à l’action.
Recommendations
Les gouvernements de l’Afrique subsaharienne doivent intensifier leurs efforts et garder à l’esprit les impératifs suivants pour mieux s’attaquer à la corruption dans leur pays :
- Assurer un engagement visible de la part des dirigeants politiques face à la corruption, en particulier au Burundi, au Congo et au Mozambique.
- Protéger les défenseurs des droits humains, les analystes politiques, les activistes travaillant sur la question et les journalistes d’investigation, et leur permettre de s’exprimer sur les problèmes de corruption.
- Améliorer la santé des institutions démocratiques, et notamment soutenir la participation, la transparence et la confiance, ainsi que l’équilibre des pouvoirs nécessaire.
CPI
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